Avril 1994 - 1 an

« Brady ! Brady, regarde ! Ta sœur fais ses premiers pas ! » Madame Cornell avait crié à travers la porte vitré, pour que son fils se retourne et observe Mahe, sa petite sœur de cinq ans sa cadette, effectuer ses premiers pas. Ravie de l'attention qu'on lui portait, l'enfant se mit à sourire et accéléra quelque peu le pas. Malheureusement, un jouet entrava sa route et elle tomba, la tête la première sur le carrelage glacé de la cuisine. Elle hurla. Hurla de toutes les forces qu'une gamine de un an pouvait avoir. C'est à dire qu'elle hurla très... très fort. Si fort, que le chien, qui dormait paisiblement, installé sur le tapis du salon, se réveilla en sursaut et se mit à aboyer. En quelques secondes seulement, le calme qui régnait chez les Cornell fut réduit à néant. La jeune maman se précipita sur sa fille pour la prendre dans ses bras, constater les dégâts -visiblement, il y avait plus de peur que de mal, et la consoler. La petite se calma peu à peu, sanglotant. « Tout va bien ma puce, tu as trébucher sur le jouet, ce n'est rien... » Sa voix se voulait rassurante alors que Brady entrait dans la maison pour s'assurer que sa petite sœur était indemne. « Dis maman, tu crois qu'elle voudra faire de la danse ? » La réflexion de son aîné fit sourire madame Cornell qui hocha la tête. « J'en suis persuadée. » Chez les Cornell, la danse était une passion. Alors pourquoi la petite Mahe échapperait-elle à cela ?



Juin 2010 - 17 ans

Elle se laissait complètement portée par la musique. Les yeux fermés, elle ne réfléchissait pas, laissant ses jambes et ses bras, son corps tout entier bouger de lui-même. Presque en transe, Mahe n'entendit pas le jeune homme entrer dans la salle et s'installer tranquillement sur le banc, l'observant. Après plusieurs minutes, alors que la musique touchait à sa fin, elle se stoppa et s'approcha du banc pour récupérer sa bouteille d'eau. Elle ne jeta qu'un simple regard à l'homme, haussa les épaules et détourna le regard. Lui, soupira, et s'adossa au mur. « Tu vas me faire la tête longtemps ? » demanda-t-il sans bouger d'un poil. Une nouvelle fois, elle haussa les épaules. « Ça dépend... Tu penses que ta connerie, elle va durer longtemps ? » lâcha la demoiselle d'un ton froid. Anton, le jeune homme, mis quelques secondes à répondre. Son regard ne lâchait pas Mahe. Depuis plusieurs jours, elle refusait de lui parler. Parce qu'il avait évoqué la possibilité qu'ils pourraient être plus que des amis. Plus que des partenaires de danse. Mais la brunette n'était pas d'accord, et leurs deux avis confrontés, des éclats de voix avaient fusés. Mahe ne voulait pas entendre des trucs comme ça. S'il y avait bien un truc qu'elle se refusait, c'était de sortir avec un ami, et encore moins, de tomber amoureuse. Parce qu'elle ne voulait pas gâcher leur amitié, et qu'elle ne voulait pas gâcher l'harmonie qui régnait entre eux sur la piste de danse, la demoiselle n'en démordrait pas : c'était hors de question qu'il se passe quoi que ce soit entre eux ! « Maintenant, si t'es pas là pour danser, tu peux repartir. » La jeune danseuse reposa sa bouteille d'eau, attrapa la télécommande du poste de musique et lança la mélodie. Elle se plaça au centre de la pièce, et, à son étonnement, fut rapidement rejoint par Anton. Ils commencèrent à danser. C'était vrai : tous les deux, au milieu d'une piste, ils étaient beaux. Leurs mouvements étaient en parfait harmonie. Leur duo, leur complicité frisait la perfection.  Jusqu'à cette ultime erreur. Portée par Anton, à plusieurs mètres au dessus du sol, Mahe plongea son regard dans celui du jeune homme. Il n'en fallu pas plus pour qu'un fin sourire apparaisse sur le visage d'Anton, et qu'il lâche un banal «  C'est vraiment dommage, j'suis sûr qu'au lit, on serait géant. » Là, le visage de Mahé se referma. « Ha punaise, lâche moi ! C'est bon tu m'as gonflé ! Lâche-moi j'te dis ! » Elle se débattit, Anton perdit l'équilibre et ils tombèrent à la renverse. Un « crac ! » se fit entendre, et une fois au sol, Mahe ne put empêcher les larmes de lui monter aux yeux. «  Espèce de crétin ! » lâcha-t-elle, les dents serrées alors qu’une douleur fulgurante lui traversait toute la jambe droite. Elle se redressa doucement et son visage blêmit en apercevant sa cheville : son pied partait complètement vers la gauche, sa peau, ouverte, laissait apercevoir un morceau d'os. Et le pire, c'était le sang. Il y avait beaucoup, beaucoup de sang.


Janvier 2013 – 19 ans.

Installée sur son lit, Mahe pensait. Elle pensait à son frère, elle pensait à la danse. Elle repensait aux rêves qu'ils avaient tous les deux, et à ce que lui avait réussi à faire. Elle admirait son frère, et il lui manquait énormément. Leur complicité, leurs discussion qui duraient des heures et des heures. Elle attendait chacun de ses appels avec impatience. Il lui parlait de la danse, et elle, elle l'écoutait, des étoiles dans les yeux. Trois ans. Cela faisait bientôt trois ans qu'elle avait arrêté la danse. Entorse au genou, fracture ouverte de la cheville. Elle avait du passer au bloc opératoire, on lui avait mis en place une tige en fer pendant presque trois mois pour que sa cheville soit réparée. Et depuis ? Impossible de faire quoi que ce soit sur une piste de danse. Et pourtant, ce n'était faute d'avoir essayer. Pendant plusieurs mois, Mahe avait insisté : chaque jour, elle avait tenter de se dépasser, de retrouver le niveau qu'elle avait eu, de retrouver même un semblant de bien-être. Mais à chaque fois, c'était la même chose : la douleur la rappelait à l'ordre, la faisait tressaillir, la faisait chuter. Au début, elle s'était dit que ce n'était qu'une question de temps. Et puis... Et puis elle avait du se rendre à l'évidence, que les médecins avaient eu raison : elle pouvait dire au revoir à son rêve de devenir danseuse professionnelle. Elle ne suivrait jamais les traces de son frère, qui avait parcouru le monde, avait dansé avec des milliers de personnes différentes, dans des dizaines de cultures différentes. Alors Mahé s'était rabattue sur sa seconde passion : la photographie. Elle était entrée à la faculté, pour suivre des études d'art, et en particulier de photographie. Elle adorait ça, et heureusement, parce que la danse lui manquait terriblement. Avec la photo, elle parvenait à retrouver quelque peu les frissons qu'elle pouvait ressentir en dansant. Évidement, ce n'était pas exactement pareil. Mais c'était au moins ça. La sonnerie de son téléphone retentit, et la fit immédiatement sortir de ses pensées. Elle se leva en trombe et se rua sur son téléphone. Brady. Elle décrocha, un sourire radieux au visage. Ils ne discutèrent pas très longtemps, mais assez pour que son frère lui apprenne qu'il s'installait pour de bon à... Miami. Et qu'il y avait une chambre pour elle.

Deux semaines plus tard, Mahe avait quitté Chicago. Elle avait fait transféré son dossier à la fac de Miami, avait fait ses valises et s'était envolée pour Miami. Le cœur léger, des rêves plein la tête. Son frère l'avait prévenu : des danseurs, ici, il y en avait des tas. Et ils aimaient se faire photographier !